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La dendrochronologie, l’art de lire dans les cernes des arbres

Stéphane Ponton, INRA; Nathalie Bréda, INRA et Vincent Badeau, INRA

Compter les anneaux concentriques sur la souche d’un arbre permet généralement de lui donner un âge. Ces anneaux, appelés « cernes de croissance », correspondent à de nouvelles couches de cellules qui, chaque année, se développent du printemps à l’automne, ou plus généralement lorsqu’il y a de l’eau dans le sol et que le climat est favorable. Chaque nouveau cerne de bois ainsi formé a pour double rôle de participer à la stabilité mécanique de l’arbre grandissant et d’assurer la circulation de la sève des racines aux feuilles.

Dans la plupart des cas, il est aisé de distinguer chaque cerne du précédent. Si l’on est un peu observateur, on réalise aussi en les comptant que les cernes n’ont pas tous la même largeur. On comprend alors que pour un arbre, il y a des années fastes, marquées de larges cernes, et d’autres moins (années de sécheresse par exemple), marquées de cernes étroits.

Dès le XVIe siècle, Léonard de Vinci avait établi une relation entre la largeur des cernes et les variations climatiques, mais depuis plus d’un siècle, la dendrochronologie a fait de ces observations naturalistes une discipline irremplaçable pour l’étude des arbres et de leur environnement.

 

En fonction du climat

Les espèces d’arbres ne produisent pas toutes des cernes de croissance annuels visibles. Celles qui poussent en milieu tropical – où les variations climatiques saisonnières sont subtiles voire inexistantes – en sont rarement pourvues, leur croissance étant continue.

Sous les climats tempérés et boréaux, en revanche, où la saisonnalité marquée impose des alternances de périodes de croissance et d’arrêts de croissance, les arbres accumulent année après année des cernes qui finiront par créer des séquences de plusieurs décennies, voire même de plusieurs siècles.

L’examen de ces séquences de cernes ne nécessite pas l’abattage de l’arbre, mais seulement l’extraction d’une fine carotte de bois dans le tronc, à l’aide d’une tarière, sans préjudice pour sa santé.

 

Mesurer, dater, expliquer

Une fois les carottes de bois extraites, le travail du dendrochronologue se divise en trois étapes. La première consiste en la mesure précise de la largeur de chaque cerne. La seconde permet d’attribuer avec certitude une date à sa formation. La troisième concerne la recherche des causes des variations de ces largeurs.

Certaines variations sont propres à un individu, comme celles liées à la disparition soudaine d’un voisin gênant, lors d’un orage, d’un coup de vent ou d’une coupe forestière, qui engendrera une augmentation de la taille des cernes jusqu’à ce que de nouvelles contraintes apparaissent.

D’autres affectent la plupart des arbres d’un peuplement, d’un massif ou d’une région. C’est le cas, par exemple, d’épisodes de gelée tardive ou de sécheresse dont l’intensité et l’ampleur géographique sont variables et qui entraînent une réduction plus ou moins forte de la croissance annuelle de tous les arbres dans la zone concernée.

Exemple de réduction de croissance radiale observée sur une souche de douglas lors d’une succession de sécheresses de 2003 à 2006. La barre verte montre un cerne large avant cette période climatique difficile.
 

Surprenantes découvertes

Au début des années 1990, notre équipe a pu, grâce aux données dendrochronologiques, mettre en évidence une augmentation progressive de la croissance annuelle des arbres forestiers au cours de l’ère industrielle.

Paradoxalement, cette découverte a été faite à l’occasion de recherches sur des dépérissements forestiers importants qui alertaient les gestionnaires et défiaient la communauté scientifique.

Les variations de la croissance des arbres, mises en regard des données climatiques, ont permis de conclure que les facteurs déclencheurs des dépérissements étaient liés essentiellement à des événements de sécheresse exceptionnels et pas, comme on le suspectait, à la pollution de l’atmosphère. Au contraire, l’augmentation des températures, de la concentration en CO2 dans l’atmosphère ou des dépôts atmosphériques azotés issus de l’agriculture étaient plutôt des facteurs stimulant la croissance des arbres.

 

Se préparer aux sécheresses

Aujourd’hui, la réalité des changements globaux s’est précisée et les projections climatiques vers le futur également. Les fortes sécheresses des décennies passées constituaient des événements rares, induisant systématiquement des épisodes de dépérissement forestier. Elles devraient augmenter en fréquence et en intensité dans les décennies à venir.

Face à l’augmentation prédite des contraintes climatiques et aux risques induits pour la santé et la productivité des forêts, la communauté scientifique est sollicitée par les gestionnaires forestiers qui doivent sans attendre anticiper la capacité des arbres à s’accommoder (ou pas) des nouvelles conditions environnementales et adapter progressivement la forêt.

L’étude des impacts des changements climatiques sur le fonctionnement des arbres n’est cependant pas aisée car le recours à l’expérimentation reste très limité. D’une part, les arbres forestiers sont des organismes de très grande taille, difficiles à placer dans des conditions expérimentales contrôlées. D’autre part, l’évaluation de ces effets est à inscrire dans un temps long, car les impacts d’une perturbation, qu’elle soit due au climat ou à des insectes, peuvent avoir des retentissements très longtemps après l’aléa.

 

Étudier le passé pour prédire l’avenir

Extraire des carottes des arbres, c’est accéder rétrospectivement à toute l’histoire de leur vie. S’offrent ainsi, en un temps record et à moindre coût, autant d’expérimentations « naturelles » permettant l’étude de la chronologie de croissance de nombreux individus, sur de très longues périodes.

Cette approche nécessite cependant de composer avec d’autres difficultés. La principale est qu’en conditions naturelles, de très nombreux facteurs (sol, climat, peuplement forestier, âge des arbres, dépôts azotés, concentration en CO2 atmosphérique, etc.) agissent conjointement sur les arbres, rendant les interprétations complexes.

De nombreuses questions sur le fonctionnement des écosystèmes forestiers sont aujourd’hui abordées par la dendrochronologie. La résilience des arbres, c’est-à-dire leur capacité à retrouver un fonctionnement normal après une période de fortes perturbations, est par exemple évaluée en ciblant dans la chronologie des cernes, les périodes de crise, et en étudiant l’évolution de la croissance des années qui suivent.

Carottes de bois issues de chênes pédonculés croissant en forêt de Tronçais dans l’Allier.

Ces études permettent d’identifier quelles sont les caractéristiques des arbres capables de surmonter un événement stressant, comme les sécheresses estivales de 1976 ou 2003, et quelles sont les conditions de sol ou de sylviculture qui peuvent affecter la réponse des arbres.

 

D’autres informations précieuses

Les cernes recèlent, en réalité, bien d’autres indications que la seule croissance des arbres. Leur radiographie aux rayons X, pratiquée depuis 50 ans, révèle des variations de densité du bois qui permettent une meilleure reconstitution des contraintes climatiques et des quantités de carbone fixées dans le bois par la croissance, information nécessaire pour estimer au mieux le rôle des écosystèmes forestiers dans le cycle du carbone.

L’analyse de la composition chimique des cernes peut également apporter des informations très pointues sur le fonctionnement physiologique des arbres, des années après. L’étude de la composition en isotopes stables du carbone du bois peut être, par exemple, reliée au fonctionnement foliaire des arbres. L’analyse isotopique des cernes a ainsi montré que, chez un grand nombre d’espèces, les arbres étaient devenus, au cours du siècle passé, plus efficaces dans l’utilisation de l’eau : pour une même quantité d’eau consommée, leur assimilation de carbone est aujourd’hui supérieure à ce qu’elle était au début de l’ère industrielle. Leur fonctionnement a été modifié vers une meilleure performance par unité de quantité d’eau utilisée.

Cette découverte, comme beaucoup d’autres, aurait été quasiment impossible sans le recours à l’approche dendrochronologique pour dater, quantifier et comparer les changements de fonctionnement des arbres à court, moyen et long terme.

The Conversation

Stéphane Ponton, Chargé de recherche, unité « Écologie et écophysiologie forestières », INRA; Nathalie Bréda, Directrice de recherche, unité « Écologie et écophysiologie forestières », INRA et Vincent Badeau, Ingénieur de recherche, unité « Écologie et écophysiologie forestières », INRA

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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