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L’idée que le sucre puisse être considérer comme une drogue addictive serait difficile à avaler. Pourtant, ses effets sur le cerveau ne sont pas si éloignés de ceux d’une drogue. On estime même que 10% des consommateurs risqueraient de devenir dépendants au sucre. Sucre et cocaïne même combat ? Même si plusieurs le surnomment «l’autre poudre blanche», on ne parle pas réellement de se « tirer une ligne de sucre ». Pourtant, les similitudes entre ce produit et les substances psychoactives sont troublantes. Tout comme la cocaïne, l’héroïne, ou l’alcool, le sucre, en pénétrant dans l’organisme, active le circuit de la récompense au niveau du cerveau : le réseau dopaminergique. Lorsqu’il fond sur la langue, le produit sucré, via les récepteurs du goût, parvient en une fraction de seconde au cerveau. Peuvent alors surgir plaisir et l’irrésistible envie d’en consommer d’avantage….On peut donc voir que l’expression «bibitte à sucre» prend du sens! Bien sûr, on ne parle pas ici d’état de transe psychique ou d’hallucinations quelconques, mais plutôt d’addiction. «On parle d’addiction quand il y a une perte de contrôle sur la consommation, quand un individu souhaite arrêter un produit mais n’y arrive pas, alors qu’il est conscient que la drogue a des conséquences négatives sur sa vie», explique Serge Ahmed. Au total, onze critères comportementaux ont été établis pour détecter une addiction, mais il suffit d’en manifester seulement deux pour être considéré comme faiblement dépendant. Le réseau dopaminergique est la clé de voute du mécanisme de la dépendance. La prise répétée d’une drogue dérégule progressivement les neurones impliqués dans ce circuit de la récompense. «Pour devenir dépendant à n’importe quelle drogue, il faut que la consommation soit renouvelée fréquemment, comme lors d’une prise régulière de produits sucrés par exemple», précise Serge Ahmed, directeur de recherche au CNRS et responsable de l’équipe «Addiction, compulsion et syndrome de dysrégulation dopaminergique» à Bordeaux. La dépendance à un produit entraîne une perte de contrôle responsable d’une escalade de la consommation. Ce phénomène d’addiction se retrouve-t-il chez les consommateurs de sucre ? Oui, si l’on en croit les expériences menées depuis une dizaine d’années. En 2007, Serge Ahmed teste pour la première fois ces hypothèses. Avec son équipe, il met à disposition de rats deux produits : d’un côté de la cocaïne, de l’autre de l’eau sucrée. Au bout de quelques semaines, 90% des rats ont abandonné la drogue au profit du sucre. Le pouvoir addictogène du sucre apparaît alors. Néanmoins, il faut rester prudent sur les extrapolations de ces résultats à l’homme. «Chez l’homme, on estime que 6 à 10% des personnes pourraient être exposées à une dépendance au sucre» ajoute le chercheur, pour qui l’augmentation de l’obésité depuis les années 70 est probablement liée à l’explosion des produits industriels transformés et trop sucrés. Au début du XIXème siècle, les Français consommaient à peine un kilo de sucre par an et par personne. Aujourd’hui ce sont plus de 30 kilos qui sont consommés. Après avoir activé le circuit de la récompense via la langue, le sucre passe dans le sang pour atteindre les récepteurs cérébraux du glucose et réactiver une seconde fois le réseau dopaminergique. Un double effet, qui survient 10 à 15 minutes après l’ingestion. Et cette deuxième activation est bien plus pernicieuse. Comme l’explique Serge Ahmed, il n’y a donc pas que les sucreries qui risquent de créer une dépendance, mais aussi tous les produits contenant du sucre caché : ketchup, soupes industrielles, plats préparés, etc.. Certains gros consommateurs de sucre rapportent des phénomènes «semblables à un état de manque»: anxiété, irritabilité, trouble du comportement. Et chez les rats, tout comme à l’arrêt d’une drogue, des syndromes de sevrage ont été observés. S’il n’est pas rare d’entendre une distinction entre dépendance physique et psychologique, pour Serge Ahmed, cette opposition est une erreur : «ce qu’on appelle le psychologique vient du cerveau, qui est un organe physique. Ces troubles sont donc plus complexes que la simple dissociation entre composantes physiques et psychologiques. Dans tous les cas, la souffrance est réellement là», ajoute-il, mais la notion de dépendance au sucre est encore difficile à accepter. «On a du mal à imaginer que le sucre puisse être une drogue, notamment parce qu’on en donne tous les jours à nos enfants», se défend Serge Ahmed. «Il y a quarante ans c’était la même chose avec la cigarette : tout le monde fumait sans être conscient des dangers», ajoute-t-il. A l’époque, comme peu de fumeurs essayaient d’arrêter le tabac, personne n’avait l’impression de vivre une addiction. Les recherches sur la dépendance au sucre sont récentes, mais pour Serge Ahmed, la prise de conscience sur les dangers du sucre devrait progressivement émerger dans la conscience collective, «d’ici une vingtaine d’années» conclut-il.

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