Advertisements

Simon Chapman, University of Sydney

1. Les fumeurs d’aujourd’hui sont des incorrigibles, des fumeurs « accros » qui ne peuvent ou ne veulent pas arrêter

Cette affirmation constitue l’essentiel de ce qu’il est convenu d’appeler l’« hypothèse de l’endurcissement » : l’idée que des décennies d’efforts pour inciter les fumeurs à arrêter ont vu les fruits mûrs tomber de l’arbre ne laissant aujourd’hui sur le terrain que de gros fumeurs, profondément dépendants.

L’indice clef de la dépendance au tabac, c’est le nombre de cigarettes fumées quotidiennement. Cela crée un petit problème pour l’hypothèse de l’endurcissement : dans les pays et les États où le tabagisme s’est le plus réduit, le nombre moyen de cigarettes consommées chaque jour a diminué, et non pas augmenté. C’est exactement le contraire de ce que l’hypothèse d’endurcissement aurait prédit si les fumeurs restants étaient pour la plupart des incorrigibles.

À lire également : Dix mythes sur le tabagisme qu’il faut absolument arrêter de croire!

2. Fumer est un plaisir

Des études répétées ont montré qu’à peu près 90 % des utilisateurs regrettent d’avoir commencé à fumer et chaque année, quelque 40 % d’entre eux essaient de stopper. Il n’existe aucun autre produit pour lequel les consommateurs, ou même une part réduite d’entre eux, manifestent un tel manque de fidélité.

Mais les efforts de certains fumeurs endurcis me font bien rire quand ils expliquent qu’ils fument par plaisir et que les tentatives pour les persuader d’arrêter ne sont que des tirades anti-hédonistes. De nombreux travaux ont prouvé que le « plaisir » en question, c’est juste le soulagement ressenti par les fumeurs quand ils peuvent fumer après en avoir été privés pendant quelque temps. La dose de nicotine qui suit supprime alors l’inconfort et le besoin dont ils souffraient. Cet argument ressemble un peu au fait de dire : se faire battre tous les jours est quelque chose qu’on veut continuer, parce que, hein, c’est tellement bon quand cela s’arrête.

3. Les cigarettes « light » et « mild » apportent à l’usager beaucoup moins de goudron et de nicotine que les variétés standard

Plusieurs pays ont banni les appellations commerciales de cigarettes telles que « légères » et « douces » car ces produits ne délivrent aux usagers pas moins de goudron et de nicotine : ces qualificatifs sont par conséquent mensongers. Le prétendu allégement des cigarettes ainsi labellisées résulte d’une fraude massive à la consommation.

Les fabricants n’ont obtenu de faibles niveaux de goudron et de nicotine qu’uniquement grâce à des machines à fumer inhalant en laboratoire un nombre standard de bouffées à une vitesse standard d’absorption. Ensuite, la fumée ingurgitée par l’appareil est recueillie dans des « poumons » de verre, derrière l’appareil, puis l’on pèse le goudron et la nicotine pour donner les résultats cigarette par cigarette.

Mais les compagnies n’ont pas fourni aux fumeurs deux informations : les prétendues cigarettes légères ou douces sont percées juste sur le filtre (voir l’illustration) de minuscules perforations, presque invisibles, de la grosseur d’une tête d’épingle. Ces trous n’étant pas recouverts par les « lèvres » ou les « doigts » de la machine du laboratoire, celle-ci va inhaler de l’air supplémentaire, diluant ainsi les doses de goudron et de nicotine recueillies. Mais quand les utilisateurs se servent de ces produits, deux facteurs interviennent. Leurs lèvres et leurs doigts occultent partiellement les minuscules trous de ventilation, permettant l’inhalation de davantage de fumée.

Les fumeurs, inconsciemment, augmentent leur pratique pour obtenir la dose de nicotine réclamée par les centres d’addiction de leur cerveau : ils peuvent prendre plus de bouffées, inhaler plus profondément, laisser des mégots plus courts ou fumer plus de cigarettes.

Aujourd’hui, l’usage de ces descriptifs a cessé, mais la tromperie à l’égard du consommateur ne s’arrête pas là : les manufactures utilisent les couleurs des paquets pour suggérer avec force au consommateur quelles variétés sont les « plus sûres ».

4. Les filtres de cigarette éliminent la plupart des saletés de la cigarette

Nous avons tous constaté la tache marron ornant un mégot de cigarette à l’abandon. Mais ce que peu de gens ont vu, c’est la quantité de cette crasse entrant dans les poumons et qui y reste.

Cette démonstration vidéo absolument édifiante, montre combien les filtres sont inefficaces pour ôter les saletés meurtrières. Un fumeur en fait la démonstration. Il garde la fumée dans sa bouche et la laisse échapper à travers un mouchoir en papier, y laissant une tache brune révélatrice. Il inhale ensuite une bouffée au plus profond de ses poumons et l’exhale dans un mouchoir en papier. Le résidu est toujours là, mais en moindre quantité. Alors, où est passée la différence ? Elle est restée dans les poumons !

5. Les gouvernements ne veulent pas voir chuter le tabagisme parce qu’ils sont « accros » à la taxe qu’il rapporte et ne veulent pas tuer la poule aux œufs d’or

Il s’agit peut-être de l’argument le plus idiot et le plus ignorant – fiscalement parlant – que nous avons entendu sur le tabagisme. Si les gouvernements veulent vraiment en tirer un rendement maximal ainsi que des impôts correspondants, ils ne savent scandaleusement pas y faire.

En Australie, le tabagisme a baissé presque continuellement depuis le début des années 1960. Dans 5 des 11 premières années du XXIeᵉ siècle, le gouvernement australien a perçu moins d’impôts tabac que l’année précédente (voir le tableau 13.6.6). Clairement, quand le tabagisme continue sa courbe descendante, les taxes correspondantes diminuent, même si cette baisse sera amortie par une augmentation de la population qui comprendra des fumeurs.

En attendant, la taxe sur le tabac, c’est gagnant-gagnant pour les gouvernements et la communauté. Elle réduit le tabagisme de façon à nulle autre pareille et elle procure un substantiel transfert de fonds au gouvernement, en faveur de la dépense publique, provenant des fumeurs.

Ceux d’entre nous qui ne fument pas n’ont pas mis à l’abri, dans un pot de confiture caché sous le lit, ce que nous aurions dépensé en tabac. Nous le dépensons pour d’autres marchandises et services, ce qui bénéficie aussi à l’économie.

6. La plupart des fumeurs meurent de maladies liées au tabac tard dans leur vie et nous devons tous mourir de quelque chose

Le tabagisme augmente les risques de nombreuses maladies, qui collectivement ôtent à ceux qui en souffrent dix années d’espérance de vie normale. Il constitue, et de loin, le plus important facteur de risque de cancer pulmonaire : en Australie, l’âge moyen de décès pour ceux qu’il frappe s’établit à 71,4 ans. Tandis que l’espérance de vie, en moyenne, est de 80,1 ans pour les hommes et 84,3 ans pour les femmes.

Cela signifie qu’en moyenne les hommes atteints de cancers du poumon sont privés de 8,7 années d’existence et les femmes de 12,9 années (moyenne pour les deux sexes : 10,8 années). Bien sûr, il y en a qui en perdent beaucoup plus (le Beatle George Harrisson a péri à cinquante-huit ans tout juste, Nat King Cole à quarante-cinq).

Si un consommateur de 20 cigarettes quotidiennes commence à 17 ans et meurt à 71, ses 54 années de tabagisme équivaudront à 394 470 cigarettes fumées. À 10 bouffées par cigarette, cela veut dire 3,94 millions de fois où les poumons seront bombardés à bout portant.

Il faut à peu près 6 minutes pour en finir avec une cigarette. Donc, au rythme de 20 par jour, les intéressés fument quotidiennement pendant 2 heures d’affilée. Sur 54 années, ils cumulent 1 644 journées de consommation active. Soit, si on les regroupe, l’équivalent de 4 années et demie d’absorption de fumée en continu.

Si bien qu’en continuant à faire perdre 10 années d’espérance de vie, chaque cigarette achevée vous vole, en espérance de vie dont vous auriez pu profiter, 2,2 fois le temps que vous mettez à la fumer.

7. Les fumeurs coûtent bien moins à l’assurance-maladie que ce que le gouvernement reçoit en impôts sur le tabac

En juin 2015, en Australie, un membre important de l’équipe du sénateur libertarien David Leyonhjelm, Helen Dale, a tweeté :

En Australie, un rapport déjà ancien examinait les données sur la période 2004-2005. Selon ce texte, les coûts bruts infligés par le tabagisme au budget de l’assurance-maladie se chiffraient à 1 836 milliards de livres australiennes « Avant ajustement pour économies dues à un décès précoce ». Pendant cet exercice financier, le gouvernement avait reçu 7 816 milliards de livres en contributions indirectes et taxes à la valeur ajoutée dues au tabac.

Quelqu’un qui considérerait l’exercice fiscal comme la préoccupation d’un bon gouvernement pourrait conclure de ces chiffres que les fumeurs payent leur part sans faire d’histoires. Peut-être devrions-nous même encourager le tabagisme comme relevant du devoir patriotique.

Comme les fumeurs ont l’élégance de mourir tôt, ces nobles citoyens sacrifient leur vie de bonne heure et contribuent ainsi aux « économies dues à la mort prématurée », comme la perception d’une pension de l’État ou le bénéfice de services pour personnes âgées. Il est de notoriété publique que Philips Morris avait donné ce conseil au nouveau gouvernement tchèque en 1999.

D’autres points de vue, cependant, pourraient bien indiquer les valeurs inhérentes à de telles assertions. Les pires régimes de l’histoire ont souvent considéré les personnes économiquement non productives comme des déchets humains méritant la mort. On a à l’esprit le témoignage inoubliable de Primo Levi sur cette mentalité à l’œuvre à Auschwitz.

8. « Big Tobacco » commence à envahir les nations à faible revenu maintenant que le tabagisme décline dans les pays les plus riches

Désolé, mais c’est dès les premières années du XXeᵉ siècle que les manufactures américaines et britanniques du tabac ont pratiqué une politique agressive de marketing dans des endroits comme la Chine. Des affiches de collection) le montrent abondamment, avec en vedette des femmes chinoises. La croissance démographique dans ces contrées, leurs politiques souvent laxistes sur le contrôle du tabac et les hauts niveaux de corruption dans de nombreux pays à faibles – et moyens – revenus, tout cela en fait des paradis pour Big Tobacco.

Il y a peu d’expériences aussi nauséabondes que de lire les rapports des groupes transnationaux du tabac à propos de leur responsabilité sociale, puis de voir comment ils agissent dans des paradis de fumeurs comme l’Indonésie. Ce documentaire dit tout.

9. Des millions de mégots sur les plages dans le monde lessivent des quantités de produits chimiques toxiques dans les océans

Les mégots se placent au premier rang des déchets les plus rejetés. Chaque année, un nombre incalculable de millions d’entre eux, sinon des milliards, sont rejetés dans les caniveaux. Mêlés à la pluie des orages, ils poursuivent leur chemin dans les cours d’eau, les ports et les océans. Les filtres de cigarette et les mégots contiennent des résidus toxiques. Et des expériences ont démontré qu’en plongeant pendant quarante-huit heures des poissons de laboratoire dans des caissons avec de ces résidus extraits de mégots, 50 % des poissons meurent.

À la suite de quoi, nous entendons parfois les gens s’écrier que ces restes de cigarettes ne sont pas seulement dégoûtants, mais qu’ils « empoisonnent les océans ». Sauf qu’un caisson de laboratoire confiné ne rend pas compte – il s’en faut beaucoup – des risques vitaux existant réellement dans les mers et les rivières. Ce sont 1.338.000 000 mètres cubes d’eau que contiennent les océans du globe, alors la contribution des déchets de cigarettes à la toxicité de tout cela ne peut guère exciter qu’un homéopathe.

Si nous voulons réduire les détritus du tabac, nous n’avons pas besoin de vagabonder au gré de ces justifications douteuses. La meilleure façon, et de loin, sera de poursuivre la diminution du tabagisme. Les cigarettiers font certes des tentatives pour se donner l’apparence d’entreprises responsables en initiant de petites campagnes de nettoyage ridicules, ou bien en distribuant des récipients individuels où écraser les mégots. Mais, afin de conserver le plus grand nombre de fumeurs, ils évitent tout effort véritable.

10. Les fabricants de tabac se soucient vraiment de la mort précoce de leurs meilleurs clients

Naturellement, toutes les entreprises préfèrent voir leurs clients vivre le plus vieux possible, pour que longtemps les caisses enregistreuses résonnent haut et fort. Les industriels du tabac ne souhaitent pas que leurs produits tuent tant de gens, mais ils rendent grâce au dieu Nicotine pour garder tout son monde dans sa poigne de fer.

Visitez n’importe quel site web de n’importe quelle compagnie transnationale et vous trouverez de nombreux discours empreints de gravité et d’empathie sur la bonne volonté affichée par les groupes industriels en vue de réduire les terribles nuisances provoquées par leurs produits. Toutes les grandes sociétés ont investi massivement dans la cigarette électronique, alors n’est-ce pas le signe qu’elles prennent très au sérieux la diminution de maux qu’entraîne le tabac ?

Cela pourrait être le cas si ces mêmes compagnies montraient la moindre velléité d’ôter le pied de l’accélérateur dans leur façon de s’opposer à des contrôles effectifs sur le tabac. Mais elles ne font rien de la sorte. Toutes poursuivent leurs attaques agressives et s’emploient à retarder des mesures comme les hausses fiscales, les avertissements sanitaires graphiques, un packaging simple et des interdictions de publicité chaque fois que cela risque d’être mis en place dans un quelconque endroit du Globe.

Tout en se tordant les mains avec onction en parlant de leur mission pour réduire les dégâts, elles sont complètement déterminées à ce que le plus grand nombre possible de gens continuent à fumer. Le business plan de Big Tobacco, ce n’est pas le tabagisme ou les cigarettes électroniques. Ce sont le tabagisme et les cigarettes électroniques. Fumez quand vous pouvez le faire, vapotez quand vous ne pouvez pas. Cela s’appelle jouer sur les deux tableaux et quelque 70 % de vapoteurs font exactement cela.

La tragédie en cours dans certains pays, c’est que trop de lourdauds experts, contrôleurs des problèmes tabagiques, sont frappés de cécité face à ce grand dessein.

The Conversation

Simon Chapman, Emeritus Professor in Public Health, University of Sydney

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Advertisements